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Traduction française


Comment des firmes américaines ont aidé la femme la plus riche d'Afrique à abuser des richesses de son pays

Par Michael Forsythe, Kyra Gurney, Scilla Alecci et Ben Hallman
19 janvier 2020


LISBONNE - C'était la fête où se montrer, du Festival de Cannes, où être vu était l’unique objectif. Une entreprise Suisse de bijoux avait loué l'opulent Hôtel du Cap-Eden-Roc, attirant des célébrités comme Leonardo DiCaprio, Naomi Campbell et Antonio Banderas. Le thème : «L'amour sur les rochers».

Posait pour des photos lors de cet événement de mai 2017, Isabel dos Santos, la femme la plus riche d'Afrique et fille de José Eduardo dos Santos, alors président de l'Angola. Son mari contrôle le joaillier, De Grisogono, à travers un éventail vertigineux de sociétés écrans au Luxembourg, à Malte et aux Pays-Bas.

Mais la somptueuse fête n'a été possible que grâce au gouvernement angolais. Le pays est riche en pétrole et en diamants, mais obstrué par la corruption, par une pauvreté écrasante, un analphabétisme généralisé et un taux de mortalité infantile élevé. Une agence d'État a englouti plus de 120 millions de dollars dans la société de bijoux. Aujourd'hui, elle fait face à une perte totale.

Mme dos Santos dont la fortune est estimée à plus de 2 milliards de dollars, affirme être une self-made woman qui n'a jamais bénéficié de fonds publics. Mais une réalité différente se dégage des enquêtes des médias ces dernières années: elle a bénéficié d’une part des richesses de l'Angola, souvent par le biais de décrets signés par son père. Elle a acquis des participations dans les exportations de diamants du pays, dans sa dominante compagnie de téléphonie mobile, dans deux de ses banques et au sein de son plus grand producteur de ciment, et elle s'est associée avec le géant pétrolier d'État pour acheter des parts dans la plus grande société pétrolière du Portugal.

Aujourd'hui, plus de 700000 documents obtenus par l'International Consortium of Investigative Journalists et partagés avec le New York Times, montrent comment un réseau mondial de consultants, avocats, banquiers et comptables l'a aidée à amasser cette fortune et à la planquer à l'étranger. Certaines des plus grandes sociétés de services professionnels au monde - dont le Boston Consulting Group, McKinsey & Company et PwC - ont facilité ses efforts pour tirer le plus profit de la richesse de son pays tout en lui conférant une légitimité.

L'empire que son mari et elle ont bâti s'étend de Hong Kong aux États-Unis, comprenant plus de 400 entreprises et filiales. Il englobe des propriétés dans le monde entier, y compris un manoir de 55 millions de dollars à Monte Carlo, un yacht de 35 millions de dollars et une résidence de luxe à Dubaï sur une île artificielle en forme d'hippocampe.

Parmi ces entreprises se trouvait la société suisse de bijoux, dont des enregistrements et interviews révèlent qu'elle était dirigée par une équipe recrutée chez Boston Consulting. Ils l'ont enfoncé par leur mauvaise gestion. Sous leur leadership, des millions de dollars de fonds publics angolais ont été utilisés pour financer des fêtes annuelles sur la Côte d'Azur.

Lorsque Boston Consulting et McKinsey ont signé un contrat pour aider à la restructuration de Sonangol, l’entreprise pétrolière publique angolaise, ces firmes ont accepté d’être payés de manière inhabituelle - non pas par le gouvernement mais par l’intermédiaire d’une société maltaise appartenant à Mme dos Santos. Puis son père lui a confiée la Sonangol, et les paiements du gouvernement ont grimpé en flèche, acheminés par l'intermédiaire d'une autre société offshore, celle-ci appartenant à un de ses amis.

La firme PricewaterhouseCoopers, maintenant appelé PwC, a agi comme comptable, consultante et conseille fiscale, travaillant avec au moins 20 sociétés contrôlées par son mari. Pourtant, il y avait des signaux d'alarme évidents puisque l'argent de l'État angolais disparaissait, selon les experts en blanchiment d'argent et les experts judiciaires qui ont examiné les documents nouvellement obtenus.

Lorsque les sociétés conseilles occidentales sont arrivées en Angola il y a près de deux décennies, elles étaient considérées par la communauté financière mondiale comme une force positive: apporter du professionnalisme et des normes plus strictes à une ancienne colonie portugaise ravagée par des années de guerre civile. Mais finalement, elles se sont contentées de prendre l'argent et de faire ce que leurs clients leurs demandaient, a déclaré Ricardo Soares de Oliveira, un professeur de politique internationale à Oxford qui se spécialise sur l'Angola.

"Elles sont là en tant que fournisseurs polyvalents de tout ce que ces élites dirigeantes veulent bien faire", a-t-il déclaré. "Elles n'ont aucun statut moral - elles sont ce que les clients veulent qu’elles soient."

Aujourd'hui, plus de deux ans après la démission de son père, après 38 ans de pouvoir, Mme dos Santos est en difficulté.

Le mois dernier, un tribunal angolais a gelé ses avoirs dans le pays dans le cadre d'une enquête contre la corruption, ainsi que ceux de son mari et ceux d'un associé Portugais. Le procureur général Angolais a affirmé que le couple était responsable de la disparition de plus d'un milliard de dollars de fonds publics, en particulier chez De Grisogono et Sonangol.

Selon le cabinet du président Angolais, João Lourenço, Mme dos Santos et son mari risqueraient des années de prison s'ils étaient reconnus coupables. Au cœur de l'enquête: 38 millions de dollars de paiements de Sonangol à une société écran de Dubaï quelques heures après l'annonce du limogeage par le nouveau président Angolais, de Mme dos Santos. Le demi-frère de Mme dos Santos fait également face à des accusations de corruption pour avoir aidé à transférer hors du pays, 500 millions de dollars du fonds souverain d'Angola. Le gel des avoirs est intervenu peu après l'I.C.I.J. Les partenaires enquêtant ont interrogé le gouvernement sur les transactions figurant sur les documents.

Au cours d’un entretien avec la BBC, Mme dos Santos, 46 ans, a nié tout acte répréhensible et a qualifié l'enquête de « persécution politique ». « Mes entreprises sont financées par des fonds privés, nous travaillons avec des banques commerciales, nos avoirs sont des avoirs privés», a-t-elle déclaré.

Son mari, Sindika Dokolo, 47 ans, a suggéré que le nouveau gouvernement faisait d’eux leur bouc émissaire. "Il n'attaque pas les agents des entreprises publiques accusés de détournement de fonds, juste une famille opérant dans le secteur privé", a-t-il déclaré à Radio France Internationale, un autre I.C.I.J. partenaire.

Les banques internationales, dont Citigroup et Deutsche Bank, liées par les règles strictes concernant les clients politiquement connectés, ont largement refusé de travailler avec la famille ces dernières années, démontrent ces documents.

"Ces gars entendent parler d'Isabel et ils fuient comme le diable devant une croix", a écrit Eduardo Sequeira, directeur du financement des entreprises chez Fidequity, une société portugaise qui gère de nombreuses entreprises appartenant à Mme dos Santos, dans un e-mail datant de 2014 ; après que la banque espagnole Santander ait refusé de travailler avec elle.

Les sociétés conseils, beaucoup moins réglementées que les banques, ont rapidement embrassé ses activités. Les cabinets conseils américains commercialisent leur expertise en disant apporter de meilleures pratiques à leurs clients à travers le monde. Mais dans leur quête de revenus, plusieurs ont travaillé pour des régimes autoritaires ou corrompus dans des endroits comme la Chine ou l'Arabie saoudite. Les affaires de McKinsey en Afrique du Sud ont été décimées par son partenariat avec un sous-traitant lié à un scandale politique qui a emporté le président du pays.

Les nouvelles fuites démontrent que le même schéma se répète en Angola, où des factures indiquent que ces sociétés conseils ont touchés des dizaines de millions de dollars. Elles ont accepté d'être payés pour le travail effectué pour le compte du gouvernement angolais, par des sociétés écrans - appartenant à Mme dos Santos et à ses associés - qui étaient basées dans des sites offshores connus depuis longtemps comme étant utilisés pour les évasions fiscales, pour cacher les fonds illicites et le blanchiment d'argent. L'arrangement a permis à Mme dos Santos de garder pour elle une grande partie de ces fonds publics, selon les dossiers.

(Les documents, appelés Luanda Leaks, au nom de la capitale angolaise, comprennent des courriels, des diaporamas, des factures et des contrats. Ils sont parvenus à l'I.C.I.J.par l'intermédiaire de la Plateforme pour la protection des dénonciateurs en Afrique, un groupe juridique et d’activistes basé à Paris.)

(A suivre)

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