CHARLES MBA VERSUS ALAIN-CLAUDE BILLIE-BY-NZE !
Référendum au Gabon : Charles Mba et Alain-Claude Bilie-By-Nze, l’interview
croisée
L’un
est le ministre des Comptes publics de Brice Clotaire Oligui Nguema, et l’autre
celui qui s’est positionné comme son principal détracteur. Ils s’opposent sur
l’organisation de la consultation et sur les suites de la transition.
Ancien
Premier ministre du régime déchu d’Ali Bongo Ondimba,
Alain-Claude Bilie-By-Nze a fait campagne pour le « non » à la
Constitution, dont l’adoption a été soumise à référendum, le 16 novembre. Pour lui et ses compagnons
d’Ensemble pour le Gabon, un embryon
d’opposition qui tente de se structurer face au Comité pour la transition et la
restauration des institutions (CTRI), le résultat (« oui » à 91,8 %) est tronqué. Face à lui, Charles Mba, le ministre
des Comptes publics, est un des poids lourds du gouvernement et un proche des
militaires du CTRI. Il l’assure : il n’y a pas eu de fraude. Jeune Afrique a croisé leurs réponses,
obtenues séparément. Interview.
Jeune
Afrique : À la suite du référendum du 16 novembre, l’opposition a dénoncé des
fraudes et des résultats tronqués. Quelles leçons peut-on tirer de ce
scrutin ?
Alain-Claude
Bilie-By-Nze : Nous avons
recueilli des éléments concrets prouvant qu’il y a eu des bourrages d’urnes.
Plusieurs vidéos montrent des scrutateurs y faisant glisser des dizaines
d’enveloppes, en se servant de dizaines de cartes d’électeurs non récupérées
par leurs détenteurs légitimes.
Il
existe en outre de nombreuses situations où le
nombre total de suffrages exprimés est supérieur au nombre d’électeurs. Et que
dire de ces cas extraordinaires qui se sont produits dans certaines localités
du Haut-Ogooué et du Woleu-Ntem ? Dans un département de la province du
Haut-Ogooué, par exemple, nous avons 3 044 inscrits et 3 044 votants en
faveur du « oui », ainsi que 0 % de bulletins blancs ou nuls. Avouez
qu’il s’agit là d’une situation exceptionnelle en matière électorale.
Charles
Mba : Face à ce « oui » massif,
vous m’interrogez sur les fraudes imaginaires évoquées par certains, coutumiers
des faits de fraude électorale et que vous qualifiez d’opposants. Je dois dire
que je suis toujours étonné de voir que ces compatriotes-là ne reculent devant
rien pour exister. Même quand la morale, la décence, la dignité et la bonne foi
devraient les inciter à se taire. Voilà donc que les fraudeurs d’hier se
mettent à confondre les époques et voudraient nous donner des leçons de démocratie ?
Pour
cela, il faut être démocrate soi-même et l’avoir prouvé aux yeux de tous. Cela
dit, je voudrais saluer les organisateurs de ce référendum
qui, en peu de temps, et conformément aux instructions du président de la
transition, Brice Clotaire Oligui Nguema, se sont attachés à organiser un scrutin libre et
transparent, dans de bonnes conditions, reconnues et saluées par l’Union
africaine, qui vient d’ailleurs de féliciter le Gabon à ce sujet.
Pourquoi,
selon vous, l’abstention est-elle une victoire d’un camp sur un autre ?
Charles
Mba : Les tenants du « non » ne
reculeront devant rien pour exister. Nous sommes des démocrates, et la
démocratie exige de donner la parole à des gens qui, à les écouter, n’ont au
fond rien à dire. Dans certains pays amis, des référendums ont été organisés
pour approuver une nouvelle Constitution. C’était le cas de la Côte d’Ivoire en
2016, où le « oui » l’a emporté à 93,4 %, avec un taux de
participation à 42 %. C’était également le cas du Mali, où la consultation,
organisée en juin 2023, a été approuvée à 97 %, avec 39 % de votants.
Vous
voyez donc que les arguments des défenseurs du « non » ne tiennent
pas. Le corps électoral gabonais, c’est environ 868 115 électeurs. Cette fois, il ne s’agissait pas d’élire un
président, un député, ou un élu local, mais de se prononcer sur un texte
fondamental qui va régir notre vivre-ensemble pour les prochaines décennies. 53
% de nos compatriotes se sont déplacés pour voter et ils ont voté
« oui » à 91,8 %. Ainsi donc, l’histoire retiendra que la
majorité du peuple gabonais a appuyé ce texte. Comme eux, je suis donc
pleinement satisfait de ce résultat.
Alain-Claude
Bilie-By-Nze : Si l’abstention
n’est pas à proprement parler une victoire du « non », il s’agit
néanmoins d’une défaite cinglante du pouvoir, qui avait cru transformer ce
référendum en un plébiscite pour le président de la transition. Le peuple
gabonais, qui n’a pas été dupe de ces manœuvres, a massivement déserté les
urnes.
Reste
que l’on peut parler d’une victoire du « non » car nous avons su
relever les incohérences du texte proposé et la dangerosité de certaines de ses
dispositions. L’abstention, comme vous le savez, est un message politique et,
dans ce cas d’espèce, ce message est très clair. Ce projet de Constitution,
qui confère au président des pouvoirs très étendus, les
Gabonais n’en veulent pas. Tout comme ils ne veulent pas d’une amnistie
constitutionnelle pour les auteurs du coup d’État, ni d’un mandat de sept ans.
Le
rôle du ministère de l’Intérieur dans l’organisation du scrutin est questionné.
Quelle est votre opinion sur ce sujet ?
Alain-Claude
Bilie-By-Nze : L’histoire de notre pays,
depuis le retour au multipartisme, a démontré que le ministère de l’Intérieur
manque totalement d’impartialité, car notre technostructure est généralement
recrutée sur des bases clientélistes, ce qui ne favorise pas la neutralité de
l’administration. C’est la raison pour laquelle, après les catastrophes
électorales de 1991 et 1993, les acteurs politiques gabonais avaient décidé de
retirer l’organisation des élections au ministère de l’Intérieur.
La
publication des chiffres invraisemblables du référendum du 16 novembre dernier
prouve que les mauvaises habitudes sont profondément ancrées et que le temps
n’a eu aucun effet. En outre, la fonction de ministre de l’Intérieur était
occupée pendant de nombreux mois par le président du CTRI [Comité pour la
transition et la restauration des institutions] et l’occupant actuel n’en était
que le ministre délégué, ce qu’il est encore dans les faits.
De ce point de vue, l’élection est donc organisée par l’un des candidats, ce
qui ne peut être accepté dans une véritable démocratie.
Nous
pensons qu’il vaudrait mieux revenir à l’organisation des élections par un
organisme indépendant, quitte à ce que les partis politiques n’en soient plus
membres, mais que les candidats aux urnes y soient représentés à tous les
échelons, afin de garantir un minimum de transparence et d’équité.
Charles
Mba : Je vous l’ai dit plus tôt et
je le maintiens : il n’y a pas eu de fraude. Répéter à l’infini ces allégations
mensongères n’en feront pas des vérités. Je laisse ceux qui dénoncent ce qui
n’existe pas assumer la responsabilité de leurs propos devant l’Histoire.
S’il
fallait faire un bilan global du CTRI à ce stade, comment le
jugeriez-vous ?
Charles
Mba : La transition n’est pas encore
arrivée à son terme et elle ne s’achèvera qu’après la prestation de serment du
prochain président de la République. Mais chacun voit bien qu’au Gabon, depuis
le 30 août 2023, la vie a repris. Les Gabonais ont été
libérés et ont retrouvé leur dignité. Et ils sont de nouveaux fiers de rêver à
un nouvel essor vers la félicité, comme le dit notre hymne national. Sous la
houlette du président de la transition, du CTRI et du gouvernement, ils
travaillent d’arrache-pied pour remettre leur pays sur les rails qu’il n’aurait
dû quitter.
Un
chronogramme a été annoncé et, à ce jour, il est respecté. Après l’appel à
contribution des Gabonais en vue du Dialogue national, celui-ci s’est tenu dans
les délais prévus. Le 16 novembre dernier, c’est le référendum constitutionnel
qui a été organisé, avec le résultat que vous connaissez. C’est une étape
importante qui précède la tenue prochaine de l’élection du président de la
République, prévue d’ici à août 2025. Outre ces avancées politiques et
institutionnelles, notre pays a dû rassurer ses partenaires internationaux et
se relancer sur le plan économique. À ce jour, celui ou celle qui vous dira que
la transition gabonaise est honnie à l’international et que l’économie
gabonaise est au sol raconte des fadaises.
Alain-Claude
Bilie-By-Nze : Le
CTRI s’était donné pour mission de restaurer les
institutions. Y est-il parvenu quatorze mois plus tard ? À l’évidence, non. Ce
constat à lui seul suffit à répondre à votre question. Pour
le reste, l’esbroufe semble être la boussole.
Avez-vous
le sentiment que le système soit verrouillé par les militaires ?
Alain-Claude
Bilie-By-Nze : Comme je l’ai dit, il vaudrait
mieux confier l’organisation des élections à un organisme indépendant avec la
présence de vrais observateurs internationaux, en tirant toutes les leçons du
passé, et notamment de 2016. Il conviendrait par ailleurs de procéder à un
audit du fichier électoral.
Nous
devons également questionner le rôle de l’armée et de la garde républicaine
dans le processus électoral. Si par le passé, on a pu avoir recours à l’armée
pour sa neutralité supposée et sa logistique, force est de constater que,
depuis le 30 août 2023, elle a désormais pris parti et n’est plus un acteur
neutre. Du reste, la campagne référendaire a vu de nombreux généraux prendre
position en faveur du « oui ». Des officiers supérieurs ont même
remplacé leur treillis par un tee-shirt et fait campagne. Il faut tout simplement sortir les militaires du
processus électoral.
Charles
Mba : Le seul fait que ces acteurs
parlent à un média comme le vôtre depuis le Gabon prouve à suffisance que nous
ne sommes pas dans une dictature militaire. Ils font des interviews, entrent et
sortent librement du pays, font des meetings et autres causeries et ne sont
aucunement inquiétés pour leurs prises de position. Reconnaissez qu’il s’agit
là d’un drôle de verrouillage ! Plus sérieusement, depuis le 30 août 2023, tous
ceux qui étaient en exil sont rentrés au pays. Nombre d’entre eux ont retrouvé
leurs proches et les Gabonais, le sourire et la joie de vivre. Certains peuvent
décider ne pas le voir, mais chacun voit autour de lui que la vie a repris dans
notre pays et que chacun peut rêver de nouveau d’un meilleur avenir pour lui et
les siens.
Une
élection présidentielle pourrait avoir lieu au premier trimestre 2025, selon
certaines sources. Comment appréhendez-vous cette échéance ?
Charles
Mba : À ce jour, et jusqu’à preuve
du contraire, l’élection présidentielle au Gabon est prévue pour, au
plus tard, août 2025. Le référendum et l’élection présidentielle sont deux
scrutins différents. Si ce référendum est un test – réussi à mon avis –, il
s’agit de la capacité désormais avérée de nos organes électoraux à organiser
ces votes dans des délais courts, en répondant aux exigences internationales
pour avoir des élections propres, justes et transparentes.
Alain-Claude
Bilie-By-Nze : Avancer la présidentielle au
premier trimestre 2025 serait déjà une manière de frauder, car le calendrier
annoncé la prévoit pour le mois d’août. Ce serait également se lancer dans une
aventure fort risquée, car, techniquement, il sera très difficile de tenir tous
les délais légaux prévus par la loi sur la révision de la liste électorale, la
publication et l’affichage de ladite liste, l’enregistrement et l’examen des
candidatures, leur publication, l’édition des bulletins de vote, etc.
Sans
compter le plus important, à savoir l’adoption de lois organiques spécifiques
relatives à l’élection du président de la République et toutes les lois
connexes, y compris un nouveau code électoral. Dans ce domaine particulier et
très sensible, la précipitation serait mauvaise conseillère.
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